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Octobre 1999 N°3



Lessive à la Campagne Bec


Au 19° siècle, les Marseillais montent à pied sur la colline de la Garde, le dimanche, pour passer une journée au cabanon ou à la "campagne". Dans ces habitations très simples, le confort est minime : des murs et un toit, une réserve d'eau, un feu de bois, une table et des chaises rustiques, un treillard ombragé sous lequel il fait bon boire le pastis, un figuier propice à de longues siestes …

Le propriétaire des lieux profite de ses heures de loisirs pour améliorer sa petite résidence secondaire : il l'agrandit, il y plante des arbres ou des fleurs, (ci-dessous, traverse Mathias), il la personnalise en lui donnant un nom, il l'agrémente de décors de rêve, les rocailles.

 

 

 

L'arrivée de l'eau du canal, du gaz de ville, de l'électricité, du tramway et les suites économiques de la guerre 14-18 ont pour conséquence l'occupation permanente de l'habitat sur les zones les plus reculées de la colline.

 

Dans la cuisine

Le "potager", espace consacré à la cuisson des aliments, est un bâti recouvert de carreaux rouges vernissés. La "trémie" en forme de pyramide renversée reçoit, à l'origine, les braises tirées de la cheminée, puis, plus tard, le charbon de bois. Lorsque le gaz de ville alimente le quartier, la gazinière prend naturellement place sur le potager.

  

                   La trémie.

           Le filtre en terre


L'eau recueillie dans la citerne doit être pompée pour monter jusqu'à l'évier en pierre de Cassis. Pour la rendre potable on la fait passer dans un filtre en terre cuite. Elle est ensuite mise à rafraîchir dans des bouteilles plongées dans la citerne. Mais l'arrivée de l'eau de la Durance change beaucoup de choses : on installe des cuves à eau dans la soupente, la pompe est supprimée et le filtre "Pasteur" avec sa bougie en porcelaine prend place au-dessus de l'évier. L'eau est gardée au frais dans une gargoulette, vase en terre poreuse suspendu dans un endroit frais et bien aéré, souvent entouré d'un linge humide pour une meilleure efficacité. Sur un rebord de fenêtre plein nord, un beurrier, lui aussi en terre, garde au beurre sa fraîcheur grâce à un couvercle à double paroi.

 

La toilette se fait à la pile. Le luxe est d'avoir un ensemble de toilette : tian et pichet en porcelaine décorée sur un support en rotin.


Les commodités sont très sommaires : une petite cabane au fond du jardin…c'est le "pâti" composé d'un siège en planches posé au-dessus de la fosse. Les enfants contraints de se tenir debout, en équilibre sur la planche percée, ratent souvent le trou et les mères nettoient le lieu à grands seaux d'eau puisés dans un bassin voisin. Des petits carrés de papier découpés dans le quotidien régional et retenus par une ficelle pendent au mur longtemps encore après la mise sur le marché du papier hygiénique brun (par souci d'économie). Lorsque la fosse est pleine, les hommes creusent un trou dans la campagne, y déversent le contenu nauséabond et le recouvrent de terre.
Dans la campagne Bec, le jour de la communion de Pierre Delrieu, Georges Fanelli a posé le pied sur cette terre trompeuse et s'est retrouvé crotté et puant…Il fallut le laver entièrement dans le grand tub en zinc. Souvenirs de M L Raffin.


Jusqu'à l'arrivée de l'égout, les fillettes, plateau Bompard, assistaient périodiquement à la vidange des fosses sceptiques de leur école dont le contenu était transvasé dans des tinettes, puis porté à dos d'homme jusqu'à un camion-citerne récupérateur.
Les jardiniers amateurs n'hésitaient pas à puiser dans leurs fosses cet engrais providentiel et bon marché.

 

 


 


Assainissement et égouts. Suite à l'épidémie de choléra de 1888, nait le projet d'un égout pour Marseille en 1890. Les travaux du grand collecteur débutent en 1891 pour s'achever en 1897.Les riverains du bd Bompard commencent à se raccorder par choix dès 1899, puis par obligation soixante ans plus tard. Quelques maisons n'ont jamais pu être reliées au réseau à cause du relief.

 



La lessive. Sur la colline, de nombreuses blanchisseuses travaillent : rue Perlet, rue Turcon, rue Ste Eugénie, bd A Autran…
Les petits immeubles disposent d'un lavoir commun (3 bd M Thomas).

 

 


La plupart des maisons individuelles disposent d'un lavoir alimenté par l'eau de pluie stockée dans la citerne (ci-dessus, l'accessoire indispensable du lavoir, le battoir en bois et le même en rocaille).

 


Rue Ste Eugénie,  devant la droguerie, la "réclame" d'un savon.

 

D'autres marques de "savon de Marseille" : l'Abeille, le Fer à Cheval, l'Abat-jour, le Naturel, le Rationnel, ornent la devanture de l'épicerie Chaillol, 185 rue d'Endoume, en 1905.

La bugadière, "per colar la bugade".
Dans ce petit local proche du lavoir, est bâti un âtre muni d'un conduit directement relié à l'extérieur, évacuant la fumée et la vapeur d'eau.

 


Dans un chaudron en fonte, l'eau additionnée de cendres peut bouillir longuement sur le feu de bois. Par la suite, l'âtre est encore utilisé avec la lessiveuse : dans une cuve en tôle galvanisée, un "champignon" assure la circulation d'eau bouillante additionnée d'un produit détersif.

 

 

 



Les fontaines

Des fontaines publiques se trouvent :
    Devant le 40 bd Bompard
    Angle rue Ste Eugénie/ch du vallon de l'Oriol.
    Angle rue Ste Eugénie/bd Bompard, devant le bar Giaconi.



Devant l'école Bompard (sur le trottoir, on peut toujours voir la grille où l'eau giclait sur tous les gamins du quartier actionnant la manivelle par simple jeu).


L'EAU


Pour toute correspondance avec le service des eaux les usagers disposent de la "boite du canal".
    En 1885 : 238 rue d'Endoume et 70 rue Ste Eugénie
    En 1891 : 31 bd Bompard
    En 1920 : 16 place St Eugène
d'autres, 2 rue Peyronet et devant l'école Bompard.
Les usagers font souvent appel au fontainier.


Lavoir, place St Eugène.


Bains publics. 2 établissements desservent la colline en 1865
Quartier St Lambert, rue Therond, Mme Granet
Chemin d'Endoume 27, Célestin Richelme
Plus tard, s'ouvriront d'autres bains à la rue Charras.



L'ECLAIRAGE


Dans les rues : des réverbères fonctionnent au gaz de houille de 1857 à 1913. Les allumeurs et leurs longues perches d'allumage sont remplacés en 1909 par des allumeurs automatiques ; les vitres de ces lanternes offrent une cible de choix aux petits voyous du quartier.

Gaz ou électricité, telle est la question que se pose le conseil municipal en 1912. La haute tension fournit l'industrie depuis 1908 et depuis la formidable exposition sur cette nouvelle énergie les Marseillais sont séduits. L'électrification totale de la ville est décidée en 1920, la Corderie équipée en 1925, il faut attendre 1933 pour que toute l'agglomération profite de ce nouvel éclairage.



On peut encore voir sur quelques rares façades les plaques signalant les abonnés à la Sté du gaz et de l'électricité.

Dans les maisons



En 1915, impasse Bec, la famille Raffin dispose pour s'éclairer :
    d'un bec de cane alimenté au gaz de ville dans la cuisine
    de lampes "Pigeon" pour les chambres
    d'un lustre à pétrole dans la salle à manger, plus tard avec gaz.




Les cris des rues


Les rues sont quotidiennement animées par les cris et chants typiquement marseillais des marchands ambulants.

Pour les escargots, la marchande promène sa marmite pleine d'eau (aigo) et de sel (sau) tout en chantant :

a l'aigo sau les limacons, y en a des gros et des pitchouns.

Autre modulation pour : li pettora a a…bo de Garda  a  a…nne.

Un cri allongé : l'estrassaï aï.. aï.. aï.. re, pour la collecte des estrasses et ravans et aussi pour Vi   i   i   trier…. vi…i…i…trier.




L'estamaïre s'accompagne en frappant sur poêles et casseroles.

L'acheteur de peaux de lapins jette haut et clair ses peï…peï…peï…

Le dimanche matin passe la marchande d'épingles : les petitones…les petitones… (et les grossetones alors, lui répondent les enfants).

On entend aussi : 2 sous le melon à la taste…2 sous… Ré  é…parateur de porcelaines et de parapluies…ré  é…parateur, Ai…guiseur ai…. guiseur ,Tondeur de chiens.


Les marchands : de farine de châtaignes, de freissibons (sucre d'orge), de pizza, anchoïade et toucaou, d'oublis.

La brousso dou Rove, cri doublé par un son de trompe, annonce les délicieux petits fromages de chèvres transportés depuis l'Estaque dans des cornets en métal.

Se fait aussi entendre la poissonnière remontant du port, son panier sur la tête : peï de roquo…sardino vivo…

Le jeudi, les enfants attendent avec impatience la trompe qui annonce l'arrivée d'Alfred avec son triporteur et ses cornets de glace, ou encore le marchand de chichourles, ou de suce-miel et nougats d'Allauch.




Le charbonnier Morbelli parcourt le quartier avec sa charrette tout comme les laitiers Colombero et Delchini.

Sont livrés aussi "à l'oustau" : pain, œufs, viande…

Tous les matins, des pains de glace enveloppés dans de la toile de jute. sont déposés sur les seuils de ceux qui possèdent une glacière.

(D'après les souvenirs de Marcelle Peri-Dellepiane et Louis Dellepiane).

Le nettoiement


Les ordures ménagères sont ramassées dans des couffins, puis transportées par des tombereaux tirés par 1 ou 2 chevaux.


Pour les quartiers Sud, les chevaux sont regroupés à la ferme du nettoiement, rue Perlet.

 


Ils sont remplacés en 1921 par des camions automobiles de triple contenance.




Sécurité publique

En 1855, Girard est garde champêtre au quartier rural d'Endoume (13° circonscription) ; en 1885,ce travail est effectué par Bienvenu Boyer.

Le commissaire de police De Maximy est signalé en 1855 et 1885 (sans précision d'adresse), mais en 1865, l'indicateur marseillais indique que le commissariat d'Endoume est 34 rue Sainte. En 1891, le commissariat de police du 21° arr. est au 237 rue d'Endoume. Les habitants se souviennent du poste de police rue Charras (avec une geôle grillagée en sous-sol), puis ensuite au 34 bd Bompard (jusqu'à la fin des années.50.)

Une grande cape en drap bleu marine avec capuchon, donne aux agents cette silhouette si particulière qu'on les surnomme "les hirondelles".

 


Sur un acte de vente de la Gambie est citée une maison dite "ancienne gendarmerie".

 

En haut de cette bâtisse se détache une proue de navire qui confirme l'utilisation de ce bâtiment par la gendarmerie maritime.

 

En 1865 la gendarmerie maritime est au 45 rue d'Endoume.

La brigade de gendarmerie, créée en 1875, par décision du ministre de la guerre, siège au 217/219 rue d'Endoume jusqu'en 1945 où elle est transférée 25 bd A Autran. En 1885, le brigadier se nomme Gabriel, en 1891, c'est B Prat. Le maréchal des logis chef de la gendarmerie à pied d'Endoume est Grégoire.

 

Transports en communs

Un omnibus arrive à St Victor en 1850, puis à Endoume en 1854. Au niveau du 142 rue d'Endoume on change les chevaux et on double l'attelage : la rude pente de la "montagne" (66%) demande la traction de 4 bêtes. Un problème semblable se pose au tramway à cheval, ligne n°3, qui emprunte le haut du cours P. Puget pour rejoindre la Corniche ; il est résolu différemment : les voyageurs descendent du véhicule, gravissent la pente à pied et peuvent ensuite continuer leur voyage sans encombre.

En 1900, la traction électrique permet aux tramways 61 de relier la Joliette et le bd Bompard (rue Rigaud) tandis que le 63 circule entre Chapitre et Eglise d'Endoume. Des départs toutes les 20 minutes sont intercalés avec ceux des lignes 62, quai de la Fraternité-Bompard et 64, quai de la Fraternité-Endoume (Fraternité~quai des Belges).

 


En 1909, sur les motrices ouvertes, les wattmen sont dotés de peaux de biques.

 
Les lignes 61 et 63 sont à voie unique. A la "bifurcation" un réseau de voies entrecroisées permet aux trams de se croiser.
Le terminus "Bompard" se situe traverse Beaulieu jusqu'en 1924 à cause de l'étroitesse et de la déclivité de cette voie jusqu'à la tr. Pey.

Le 16 novembre, la population en liesse pousse la 1° motrice qui atteint le nouveau terminus dénommé "Rue du Soleil".

 


A St Victor, se fait la "relève" des employés, là même où se trouvait autrefois l'octroi : une baraque abrite les wattmen qui attendent de prendre leur service ; les usagers peuvent aussi y acheter des tickets.





Les mots bifurcation, relève, octroi ont une signification pour les anciens qui les emploient encore : "Je suis monté à la relève".

Deux banquettes latérales, face à face, obligent les voyageurs à se regarder tout le long du trajet : dans ce "tramway des fadas", chacun est tour à tour observé, critiqué, admiré, car tous prennent le tram :

le comptable élégant camélia à la boutonnière, la chanteuse cabotine qui raconte les menus détails de sa vie familiale, le pianiste qui accompagne les films muets à l'Odéon, l'organiste qui malgré sa cécité a appris à monter en marche, l'extravagante blonde avec ses accroche-cœurs noirs, ses décolletés vertigineux et ses chapeaux encombrants… (souvenirs de M et Mme Lopez).


Le circulaire Corniche promène souvent des grappes humaines accrochées sur ses marchepieds, rendant la promenade piétonne côté mer, extrêmement dangereuse. (Le tramway passe à moins de 50cm du parapet et on a déploré plusieurs accidents).
L'itinéraire de la ligne 83 : Corderie, Corniche, Prado, cours st Louis est inverse de celui de la ligne 82 nommée circulaire Prado.
Succédant à la traction animale, la traction électrique présente de nombreux avantages : fréquence, régularité et prix qui contribuent à son succès pendant un demi-siècle sur tout le massif de la Garde.

 

 

Le receveur placé à l'arrière du tram coche avec un crayon fuchsine, les premiers tickets ; plus tard, il utilise une machine à manivelle, oblitérant 2, 3 ou 4 tickets selon le nombre de stations parcourues, puis vient le ticket unique.

 

 

1945 voit l'apparition des trolleybus : les usagers du 61, habitués à la stabilité toute relative des tramways empruntant la rue Grignan, déposent une pétition auprès du CIQ afin que le trolley ne descende plus la rue Fort Notre Dame craignant que le voyage ne se termine dans les eaux du Vieux-Port !

 


 

Santé publique

Dans l'indicateur marseillais, le corps médical est représenté dans le quartier par des sages-femmes.
1855 : E Comte, 230 rue d'Endoume.
1865 : Baptistine Feraud, sur la place St Eugène.
           Mme Etienne née Roux, 12 ch d'Endoume, après la Croix.
1891 : Mme Boyer, 227 rue d'Endoume et encore Mme E Comte au 230.
1920 : Mme Fontanon, 29 bd Bompard.
           Mme Croese, 227 rue d'Endoume et J Boyer au 239.
           Mme Antoni, au 242 rue d'Endoume
          ainsi que Mme Raymond, masseuse.

 

Les médecins

En 1865, le service médical du 1° arr. (Catalan, Endoume, N D, Roucas) est au 82 rue d'Endoume, cabinet du Dr Bayle.
En 1891, le médecin le plus proche est Bagarry, 97 ch d'Endoume.
Figurent dans l'indicateur de 1920 :
    D Tasso, 229 rue d'Endoume (depuis 1897).
    Fr. Granier, 232 rue d'Endoume
1921 : J Cotte, Av Jh Etienne

 


Ici, coton et gaze achetés en gros sont ensachés pour les pharmacies.

 

Les pharmacies
1920 : Feraud, 2 bd Bompard et Beraud Antoine, 223 rued'Endoume.


Cabinet dentaire 1931 : Maria, 1 rue Perlet.


Le dispensaire d'Endoume s'ouvre en 1935, mais a aussi existé un centre de soins au vallon de l'Oriol, 20 (à côté de l'église, là où œuvra par la suite, un forgeron).

 

Avant la guerre de 14-18, M. Carle désire que sa maison profite à des enfants. Le "château" ainsi offert à l'Association des Dames Françaises devient un hôpital pour enfants déshérités. L'armée le réquisitionne et en fait un centre de formation paramilitaire en 1939, puis une école d'infirmières coloniales en 1941. En 1949, après des transformations, un centre antituberculeux y prend place.

 

 



Une nouvelle orientation en 1973, toujours dans l'esprit de M. Carle, transforme le "château" en foyer pour enfants infirmes cérébraux-moteurs et ce, pendant une vingtaine d'années. La propriété est ensuite vendue, la pinède cède la place au béton.

Sur la Corniche, un autre généreux donateur, Jean Martin, crée en 1903 dans sa propriété, un sanatorium hélio-marin pour enfants. Légué aux Hospices civils en 1920, l'établissement poursuit cette vocation sanitaire jusqu'en 1977 ; il abrite désormais des services de l'Assistance Publique.

 

 


 

La poste

En 1855 une recette buraliste est au 216 rue d'Endoume, débit de tabac près de la Croix.
En 1898 une boite aux lettres est apposée sur le mur du bar, 237.

 

 

En 1905 un petit bureau auxiliaire des PTT, avec cabine téléphonique, s'ouvre au 17 bd Bompard (en 1988, quelques traces de peinture en témoignent encore, alors que la nouvelle poste a déménagé dans des locaux plus spacieux au n° 50).

 



Les pompiers

Jusqu'en 1939 un poste de pompiers loge au 123 rue d'Endoume. Il est doté d'une pompe à bras tirée par 4 hommes (l'un des sapeurs est cordonnier, un autre tailleur). La manche est enroulée sur une roue de vélo mais faute de savoir monter à vélo, le pompier doit pousser… De plus, la porte du poste est très étroite, la pompe sort difficilement…

La nuit, une lanterne verte signale la présence du poste.

 

 

 


Calèche sur la Corniche (photos Camille Raffin 1915)

 

 
 Textes et documents photo, composition :
Monique Bonavia-Michelet.


Editeur : Association "La Butte Bompard"
Octobre 1999

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