Au bord de la Méditerranée. Sports et loisirs. Imprimer

Juin 2000 N° 8

 


Le Prophète
tableau de L. Roberti employé municipal
et peintre amateur vers 1900-1910.

Des rochers abrupts plongeant dans la mer, sur lesquels serpente à mi-côte un sentier de douanier, quelques chemins rudes et tortueux reliant le terroir à la mer (Roucas Blanc, vallon de l'Oriol, vallon de la Fausse Monnaie), telle est la colline, paysage sauvage et fréquenté seulement par les chasseurs et les pêcheurs, jusqu'au milieu du XIX° siècle.

 


Vue cavalière de Marseille en 1574

 

Les document concernant la bordure maritime de la Garde sont très rares avant la construction de la Corniche (1863) ; il faut attendre l'invention de la carte postale illustrée (1898) pour que l'iconographie s'enrichisse, rendant notre promenade célèbre à travers le monde.

 

Dans le livre du cérémonial de la ville de Marseille

En date du 16 janvier 1660 est relatée la visite de Louis XIV à Marseille. (Depuis 1648 la cité s'oppose au grand roi qui médite pendant des années, une punition). Dès l'occupation de la ville, le monarque fait dresser 500 potences et scier tous les canons…Puis le 2 mars 1660, il simule une entrée triomphale en faisant ouvrir une brèche dans les remparts et pénètre à nouveau dans la ville avec ses mercenaires suisses. Les marseillais sont au désespoir, les femmes pleurent, les épigrammes fusent… Mais.

 

 


 

Entré triomphalement dans Marseille avec son carrosse et sa suite, le Roi Soleil s'est rendu au vallon de l'Auriol par la mer. Mais tous les détails de la partie de pêche qui nous intéresseraient aujourd'hui n'ont pas été inscrits dans le "cérémonial". On ignore donc tout de l'embarcation qui a transporté le roi et des personnages de la cour qui l'accompagnaient en mer : les princes de Beaufort et de Conti ? le duc d'Anjou ? le cardinal de Mazarin?
Autre question sans réponse : la petite anse de l'Auriol ressemblait elle en 1660 à celle décrite par Alfred Saurel en 1875 dans son Dictionnaire des Bouches du Rhône :
" à l'embouchure du petit ruisseau, il y a un petit bout de plage envahi par les algues où l'on tire les embarcations de plaisance"…

 


 

Au début du XX° siècle, villas et châteaux ont modifié le paysage terrestre autour du vallon tandis que sur mer se pratique toujours la pêche ; ces paisibles pêcheurs ignorent sûrement, dans ce décor d'opérette, que leur barque se balance doucement sur un site historique et qu'ils ont eu un prédécesseur célèbre... Louis XIV

 

 

LE CHEMIN DE CEINTURE

Deux siècles se sont écoulés depuis la visite de Louis XIV. En février 1848, le gouvernement provisoire de la II° République est confronté à une situation économique et sociale difficile ; il crée les "ateliers nationaux" avec pour objectif la création d'emplois et la réalisation de grands travaux d'utilité publique. A Marseille, le projet de "création d'un chemin de communication entre le Prado et la porte St Victor" est adopté par la commission municipale le 13 mars.

 

 


Le viaduc au-dessus de l'anse de la Fausse Monnaie.


F.M. de Montricher dirige le chantier ; des semaines de 66 h pour des centaines d'ouvriers font progresser les travaux très rapidement : le vallon de l'Oriol est atteint en décembre 1848, le vallon de la Fausse Monnaie au début de 1851. Mais suite à de nombreux bouleversements politiques (9 maires se succèdent à Marseille pendant les 15 ans du chantier), de difficultés sur le terrain (franchissement des vallons de la Fausse Monnaie et des Auffes par viaduc) et de problèmes financiers, la reprise des travaux pour relier les Catalans ne peut débuter qu'en 1861.

 

Les travaux d'aménagement achevés en 1863, la route carrossable est vite fréquentée par les fiacres et les promeneurs.

 

 

Aujourd'hui comme hier les étrangers apprécient ce site pittoresque où "ils peuvent respirer à pleins poumons la brise si chère aux marseillais, recevoir les caresses de ce soleil d'hiver si chaud et si bienfaisant" (A. Saurel).

 

 

LA CORNICHE

A partir du XIX° siècle, de nombreux textes d'auteurs évoquent la célèbre promenade, ses rochers et ses criques, les quartiers pittoresques qu'elle longe entre Garde et Méditerranée.


Les lignes qui suivent sont dues, non au chauvinisme d' un écrivain local, mais à la plume enthousiaste d'un parisien :
"…spectacle grandiose et charmant…il n'est pas au monde de site plus beau, de panorama plus attachant, et pour peu que l'on soit homme de sentiment ou poète, c'est avec une âme émue que l'on parcourt les sinuosités de cette voie splendide".

 

 


Le rond-point de la Plage vers 1915.(photo C. Raffin)

 


F. Peise dans le Guide universel de l'étranger à Marseille (1867)) admire… "un panorama qui rivalise avantageusement avec celui que l'on découvre à Naples".
Enfin, le critique marseillais Edmond Jaloux (1878-1949) y voit un : "pays de grandes vacances dont les habitants semblent mener une vie de flânerie et de pêche, analogue à celle que l'on menait autrefois dans certaines bourgades grecques au bord de l'eau et peut-être à Paestum et à Capri".

 

 


Carte postale de 1905

En bas de la Baudille au début du siècle, une construction massive conserve en eau vive, les réserves de la célèbre maison marseillaise Basso (poissonnerie et restaurant). Abandonnée, attaquée par la mer ,elle disparaît ainsi que les deux cabanons voisins avec l'agrandissement de la Corniche. Depuis, les habitants du quartier aiment se retrouver sur les rochers ensoleillés de la petite crique et nagent avec volupté dans ses eaux couleur émeraude, loin de l'effervescence des plages.

L'invention de la carte postale illustrée (par Dominique Piazza, en 1891), permet la diffusion des vues de notre Corniche  dans toute la France et à l'étranger : promeneurs au milieu de la chaussée, fiacres, premiers tramways hippomobiles "circulaire Corniche", châteaux et pinèdes, hôtels, restaurants et guinguettes...

 

 


 

 

LE PROPHÈTE

 

De nombreuses cartes postales montrent l'évolution de ce hameau de pêcheurs durant plus d'un siècle. Les barques de pêche qui trouvaient abri derrière la digue ont disparu, le petit pont a été emporté par une tempête et la flottille du yachting club a pris de l'importance, solidement amarrée sur une chape en béton.



Les pittoresques petits cabanons marseillais ont cédé la place à d'austères constructions de béton, style clapier. Tout d'abord restaurant des "municipaux", l'un de ces bâtiments accueille les animations de la mairie du 7° arrondissement.
La plage familiale où l'on se retrouvaient entre voisins et amis n'est plus qu'un souvenir ; désormais "animée" (agitée et bruyante !), elle génère cris et bruits qui montent durant tout l'été jusqu'à la crête Bompard.

 

Évolution du Prophète entre 1900 et 1965

 Le Prophète au temps des cabanons

Les constructions dans l'anse du Prophète sont édifiées sur le domaine public de l'Etat. Les occupants payent une redevance pour une autorisation temporaire et révocable sans indemnité.
Pas plus grand qu'un mouchoir de poche, (16 m2 environ), le cabanon est occupé le dimanche par les amoureux de la mer, pêcheurs, canotiers ou simples amateurs de bouillabaisse ; le jeudi, les enfants y recoivent leurs amis.

 


Mmes Deghilage et Chaillol et leurs enfants.

Pendant la saison d'été, une délicieuse odeur s'échappe du cabanon de Mme Ferrari, déferle sur la petite plage, s'impose. Les baigneurs submergés ne résistent pas au pouvoir flottant de l'odeur. Il est près de midi, la baignade a creusé les appétits…grands et petits s'empressent d'acheter les cornets de papier gris remplis de frites chaudes.

 


 

Pétition en date du 2 juillet 1894, par laquelle Vincent Ardisson demande à être substitué au sieur Derbès dans l'emplacement qu'il occupe sur le domaine public de l'Etat, dans l'anse du Prophète, à Marseille.

Vu l'engagement souscrit par le sus nommé de payer une redevance annuelle de trente quatre francs : ARRÊTONS
    Le sieur Vincent Ardisson est autorisé aux fins de sa demande sous les conditions suivantes :
    L'emplacement…a la forme d'un rectangle de 4m30 de long sur 3m85 de large…la construction à édifier sur le dit emplacement sera en brique et présentera un aspect convenable… un dessin sera soumis avant exécution à MM. les ingénieurs du service spécial maritime.
    L'emplacement et ses abords ainsi que la dite construction devront être tenus en bon d'entretien et de propreté.
    Le faîte de la construction ne pourra dépasser le sol du chemin de la Corniche
    Le passage terrasse qui se trouve devant la dite construction devra toujours être maintenu libre pour le public.
    La superficie occupée par l'ouvrage dont il s'agit sera de 16,56 M2.

 

 


 

 

Jeux sur la plage en 1935 (photos sur plaques de Camille Raffin)
Domaine des barques de pêche, la plage est peu à peu occupée par les baraques des petits commerces : pizzaïolo, location de périssoires






TEMPÊTE EN MÉDITERRANÉE

Les cartes postales au début du XX° siècle ont fixé pour la postérité, des promeneurs en chapeau melon flânant sur la digue du Prophète. Mais aucun ancien du quartier ne se souvient du petit pont qui reliait alors la plage à la jetée, la fureur des vagues l'ayant un jour emporté, à l'aube du XX° siècle.



Les journaux, au lendemain du dimanche 19 novembre 1916, décrivent les dégâts causés par une tempête d'une rare violence. Au Prophète, les cabanons sont détruits, 30 embarcations emportées par les rafales vont s'écraser sur les rochers. Les vagues montent à l'assaut du parapet, submergeant la Corniche.
Lors d'une autre tempête, un navire-école italien fait naufrage au large du Prophète ; les corps des marins noyés sont déposés au centre Croix-Rouge du petit port.


La digue non entretenue faute de crédits depuis 1942, frappée par les vagues, a cessé de protéger la flottille de pêche ; le Prophète envahi par le sable n'est plus un port mais une plage.


Vagues au Prophète

 

 


Les jours de tempête, elles passent par dessus le parapet, inondant la chaussée, arrosant piétons et véhicules.
Les marseillais, bien qu'habitués, en sont toujours surpris.

 

 

PROJET INSOLITE

Le commerce maritime marseillais, florissant au XIX° siècle, nécessite l'agrandissement du port. De nombreux projets sont élaborés privilégiant l'extension des ports soit au nord (ils aboutiront à la création du port de la Joliette), soit au sud (plage du Prado, anse des Catalans, anse de la Fausse Monnaie).

Parmi les projets d'aménagement de la côte sud, un concerne plus particulièrement notre quartier : celui déposé par le colonel Deshortie le 8 mars 1877, (modifié et présenté de nouveau le 1° mars 1881).

En voici les raisons :
    - lorsqu'il élabore ce plan, le colonel Deshortie habite au milieu du Bd Bompard et une partie de ses descendants y réside encore de nos jours.*
    - le projet combine un grand bassin dans l'anse des Catalans, un avant-port tourné vers le S. W. et un grand port avec môles obliques, dit port de l'Oriol, entre la pointe d'Endoume et le Roucas-Blanc.

Ce plan est rejeté à cause du massif de la Garde, cloison étanche qui isolerait le port de l'Oriol tant du Vieux-Port que de la ville (enquête d'utilité publique du 24 novembre 1881).


* Les enquêtes et expositions autour de "La Butte Bompard" ont permis la rencontre des descendants du colonel Deshortie, issus de deux branches qui ne se connaissaient pas et demeuraient pourtant tout près sur le bd. Bompard.
Si la souche marseillaise réside toujours au milieu du boulevard, la souche venue du nord n'a fait qu'un bref séjour au 158, puis, est partie en Amérique où Alexandra Deshortie a entamé une carrière d'artiste lyrique. (Cette jeune chanteuse doit se produire au festival d'Aix en Provence, en juillet 2000, et nombreux sont les habitants du quartier qui aimeraient bien aller l'entendre et la voir.)

 

 

 

 





Dans ce bulletin d'avril 1950, est reproduite une lettre de la des Ports adressée au Ministre des Travaux Publics et des Transports, lui annonçant le déclassement du port du Prophète.

" Je vous rappelle que le petit port du Prophète avait été construit de 1895 à 1898, aux frais du département des Bouches du Rhône et de la ville de Marseille, l'Etat n'étant pas intervenu dans le financement des travaux.

A peine le port du Prophète était-il terminé qu'il apparut que l'exécution de la jetée avait modifié le régime de la plage naturelle de l'anse du Prophète. Cette plage s'engraissa immédiatement à l'intérieur du port. A la suite de nombreuses réclamations quelques travaux furent exécutés aux frais du département et de la ville pour remédier à la situation. Mais tous ces travaux demeurèrent finalement sans effet. Par ailleurs, en 1937, la jetée subit des dégâts très sérieux au cours de deux tempêtes violentes survenues les 19 et 26 janvier. Il a été estimé, à cette époque qu'il était inutile de s'obstiner à conserver un port à un endroit où tous les travaux entrepris depuis plus de 40 ans avaient complètement échoué. C'est  pourquoi, sur la proposition de M. Gourret, directeur du Port de Marseille, le port du Prophète a été déclassé."

 

 


Gaston Defferre, élu du 7° arrondissement et amateur de voile
soutient les clubs sportifs de la Corniche



Emmanuel Fabre (bijoutier), X.., Yves Berges, président du Y C P,
Gaston Defferre, maire et Louis Fabre, conseiller municipal, X..

 


 

 

Partie de boules sur la plage du Prophète pour les membres du Y. C. P.

 

 

Concours de pêche au Y. C. P. :
le président Y. Bergès contrôle la pesée.

 


Organisées par le Y. C. P.
les courses partent du Prophète.
 

 

LE SPORTING CLUB DE LA CORNICHE

 

 


Le vivier de la Réserve
abandonné depuis plusieurs années pour cause d' insalubrité

est transformé en bassin de natation les Dauphins.

 

INAUGURATION DE LA PISCINE

Elle a lieu en 1938, sous la présidence d'Ernest Pelatan, avec la participation du maire de Marseille, Henri Tasso.
Coiffée d'un bonnet phrygien, la marraine Janine Amenc (Mme Lopez), est accompagnée par ses sœurs, Mireille (Mme Habert) et Odette (Mme Allemand).

 


L'ambiance est familiale au "Club des Dauphins" : les membres, peu nombreux, nagent dans un simple bassin, disposent de quelques cabines en bois, mais peuvent déguster la délicieuse cuisine de Mme Granier : pieds paquets, daubes et autres spécialités marseillaises.

 

 

 

Les premières compétitions ont lieu dans la petite anse du vallon de l'Oriol. Les nageurs reçoivent les encouragements de parents et amis, regroupés sous une toile de tente, devant une foule de curieux massés le long de la Corniche.

 

 

 


 

 

Une foule tout aussi nombreuse assiste aux courses de kayaks, avant guerre.
Passage devant le vivier Basso, vers 1930 (famille Castaldi-Poggiale)
 
  
Les Dauphins en 1945 (photo M.T. Gallet).

 


Vue générale en 1965.
 
 La famille Amenc au bord de la piscine vers 1935.

La piscine est un simple bassin, non couvert jusqu'en 1964,
 agrémenté de quelques cabines en bois, entouré par la roche calcaire.

 
Ernest Pelatan préside aux destinées du club jusqu'en 1956. Suivent les travaux d'élargissement de la Corniche et la destruction du club. Le nouveau président (Roux) est confronté à des problèmes financiers, le club étant impraticable pendant deux ans. Le bassin alimenté au départ en eau de mer, est reconstruit en 1960, climatisé et alimenté en eau douce. Sa couverture est obtenue en 1971, après sept ans d'efforts et de ténacité.



Les peintres amateurs ou professionnels, séduits par les paysages maritimes, immortalisent le charme rustique des cabanes de pêcheurs du Prophète ou la beauté sauvage des rochers abrupts frappés par les vagues, entre Endoume et le Prado.



Piscine en plein air, puis couverte


Un petit bâtiment que l'on remarque à peine sur les rochers en dessous de la villa Valmer, abrite pourtant l'observatoire de l'Institut Géographique National.


Le "Marégraphe" a été crée en 1884 par le service des Ponts et Chaussées Maritimes, dans l'anse Calvo, sur proposition du Comité de Nivellement de la France. Depuis 1885, des instruments enregistrent là, les mouvements de la mer : ils ont permis de connaître le niveau moyen véritable de la Méditerranée.

L'altitude 0 de la France est prise là
et permet le calcul de toutes les cartes I G N de notre pays.






Carreau de céramique découvert à l'entrée de la procure des Pères du Saint-Esprit, rue E Mein
(faire pivoter l'image pour en découvrir la signification)


Méconnaissable, notre côte enneigée avec la Méditerranée fumante
(Le Prophète, en 1956)



La villa Gaby en état de siège

Cette image de la villa Gaby endormie sous la neige (1956) contraste avec celles de la page suivante : la villa et la Corniche sous haute surveillance comme pendant la guerre, en 1942-44.




Le 30 août 1991, la villa Gaby devient résidence du général libanais Aoun ; craignant un attentat, la police patrouille sur terre et sur mer, écartant tout curieux.
Au mois de septembre, des hommes armés font subitement irruption chez la famille Stalla alors en pleins préparatifs de mariage. Les gardes d'Aoun, surveillant en permanence tout le quartier aux jumelles, ont repéré un cameraman oeuvrant dans ce jardin, traverse Pey. Croyant débusquer des terroristes, ils perturbent sans ménagement toute une famille en fête…
C'est avec soulagement que les riverains voient le général partir vers la Seine et Marne en février 1992.

 


1992 : police en état de siège, photographes à l'affût…

 

 



La Corniche dans une B D. aux éditions Dargaud :
Condor, l'empire du Pacifique (Autheman et Rousseau)


 Le château d'If, la villa Le Rocher et Roche Blanche

La montée Roubion
 

La Corniche et le Prophète
carte postale de 1908


Textes et documents photos, composition:
Monique Bonavia-Michelet.

Documents Y.C.P. : Y. Bergès.
Documents S.C.C. : E. Demech.



Editeur : Association "La Butte Bompard"
Juin 2000

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